Les finalistes de « Ma thèse en 180s® », hérauts de la contestation contre la précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche !

C’est du moins ce à quoi le collectif des précaires de l’université du Mirail à Toulouse a exhorté les finalistes régionaux du concours « Ma thèse en 180s® », dans un message qui leur a été adressé. En voici la teneur. Etrangement, la finale, initialement prévue le 6 mars, a été reportée au 13 mars, sans qu’on sache la raison de ce report. Certains pensent que le collectif précaire hante les nuits des organisateurs et organisatrices. Ces derniers espèrent certainement qu’au lendemain de notre semaine de grève, nous n’aurons pas le courage de repartir à l’assaut de la LPPR et de son monde. Et l’espoir, on le sait bien dans l’ESR, fait vivre …

Nous ne nous connaissons pas, mais, en tant que jeunes chercheur·e·s, nous sommes vos pairs et collègues, partageons les mêmes conditions de vie et de travail. Nous appartenons à la même « communauté » scientifique. Comme vous, nous sommes doctorant·e·s, mais aussi chargé·e·s de cours vacataires, ATER, post-doctorant·e·s, PAST, ingénieur·e·s d’étude contractuel·le·s, chômeur·se·s ou privé·e·s d’emploi, etc. Vous avez décidé de participer au concours « Ma thèse en 180s® » et avez été retenu comme finaliste. C’est à ce titre que nous vous interpelons.

Notre motivation peut être énoncée simplement : le concours « Ma thèse en 180s® » est symptomatique d’une conception de la recherche scientifique hautement problématique, tant pour la qualité des savoirs produits, pour les conditions de travail qu’elle suppose et pour la conception du rapport entre chercheur·e·s et citoyen·e·s qu’elle véhicule.

  • La spectacularisation de la recherche mise en œuvre dans ce type d’événement dérive directement de l’introduction des désastreuses recettes du « new management» déjà appliquées dans les institutions publiques (y compris la recherche et l’enseignement supérieur), et contribue à alimenter cette tendance[1].
  • Le principe de ce concours exhibe et promeut une conception individualisante du travail de recherche, en complète contradiction avec les conditions réelles des pratiques scientifiques, qui reposent inévitablement sur un travail collectif : que ce soit sur un terrain archéologique, dans un laboratoire de physique, ou dans le comité de rédaction d’une revue de biologie ou d’économie.
  • Ce type de présentation, fondée sur une exposition en un temps ultra-réduit des arguments d’une recherche, est en contradiction flagrante avec l’idée d’une recherche dont la mise en œuvre s’apprécie nécessairement dans la longueur. « Ma thèse en 180s® », c’est le règne des raccourcis, du pitch, de la scénarisation idyllique d’un travail scientifique en réalité beaucoup plus heurté.

En avons-nous contre la popularisation des sciences ? Certainement pas. Nous refusons, par contre, ce concours et le monde l’accompagnant, où des chercheur·e·s-entertainers devraient « diffuser » verticalement leur savoir lors de performances. Il nous faut défendre au contraire un monde où les savoirs peuvent être créés et transmis à la fois dans l’intérêt du progrès des sciences et dans celui des émancipations individuelles et collectives. Si la professionnalisation des sciences eut sans nul doute des vertus et qu’elle doit continuer à être défendue, elle ne doit pas l’être contre l’existence de formes alternatives et démocratiques de création et de partage des savoirs.
Ce concours ne constitue rien d’autre qu’une facette supplémentaire de l’idéologie actuellement promue par le gouvernement, arrimée aux principes que la mise en concurrence des acteurs de la recherche et que la concentration des moyens sur quelques « stars » serait vertueux. Or, les innombrables argumentations opposées aux péroraisons de l’actuel « PDG » du CNRS en faveur d’une aberrante « loi darwinienne et inégalitaire » de la recherche suffisent à se convaincre du caractère infondé des prétentions du gouvernement, dans l’ignorance naïve des travaux d’économie, de politique, d’histoire, ou de sociologie des sciences.
Alors même que vous vous apprêter à concourir à cette finale de « Ma thèse en 180s® », vous n’ignorez pas qu’un mouvement de contestation exceptionnel contre la réforme des retraites et contre la future Loi de Programmation Pluriannuel de la Recherche (LPPR) s’étend chez les travailleur·e·s scientifiques. 63 facs, 237 labos, 7 ESPE, 7 IUT, 30 collectifs de précaires, 131 revues, 16 sociétés savantes, 46 séminaires, 34 sections CNU, 51 évaluateur·trices de l’HCERES… se déclarent mobilisés contre la précarité, contre la LPPR et contre la casse des retraites[2]. Le 5 mars, « l’université et la recherche s’arrêtent ». La coordination nationale des universités et laboratoires en lutte, réunie les 1er et 2 février 2020 à Paris et ayant rassemblé plus de 750 personnes, a appelé à une journée de grève le jeudi 5 mars contre la casse des retraites, la réforme de l’assurance chômage, la sélection à l’université (ParcourSup), l’augmentation des frais d’inscription – en particulier pour les étudiant·es extra-européen·ne.s (« Bienvenue en France ») –, la réforme de la formation des enseignant·e.s, et le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR)[3].

La LPPR qui s’annonce s’inscrit pleinement dans l’ensemble de réformes engagées depuis maintenant une vingtaine d’années dans l’ESR.
Ces réformes menacent la nécessaire indépendance des acteur·e·s scientifiques (vis-à-vis de l’État et des intérêts privés) et compromettent les conditions d’exercice de la rationalité et des débats scientifiques.

  • Le temps devant être dédié à la recherche scientifique est consumé en temps consacré à la recherche de… financements.
  • Les critères d’évaluation fondés sur la valeur des connaissances produites sont substitués par des critères de pur management comptable (usage mal compris de la bibliométrie, quantification des CV, ).
  • L’accroissement de la précarisation de la majorité des acteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur renforce le clivage entre les deux composantes du système français, grandes écoles d’une part et université de l’autre.

Depuis le 28 janvier dernier, le collectif des Précaires du Mirail a tenu trois journées de grève afin de dénoncer et de visibiliser la précarité qui sévit massivement à l’université, tant du côté des étudiant·e·s que des travailleur·e·s (personnel administratif, personnel de ménage, enseignant·e·s-chercheur·e·s, chercheur·e·s). Ces journées ont été des réussites et nous entendons aller plus loin. Pour nous, la mobilisation commencera le 2 mars, et durera toute la semaine, jusqu’au vendredi 6 mars et « Vos thèses en 180s® ».

Nous vous exhortons donc, en tant que jeunes chercheur·e·s et collègues, à prendre vos responsabilités. Renoncez à employer vos trois minutes au profit de votre propre thèse. Transformez votre « one (wo)man show » en une manifestation de la colère qui secoue la communauté scientifique et qui se joint à celle de tous les non-résigné·e·s du pays. Dénoncez la dégradation continuelle de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. Dénoncez la répression injustifiable – physique, juridique, et psychologique – exercée sur toutes celles et ceux qui aujourd’hui font entendre leur colère et s’opposent à ces politiques mortifères et inégalitaires.
Faites de cette finale toulousaine une caisse de résonance de la colère qui s’exprime contre ces politiques injustes, inégalitaires et répressives !
Rejoignez-nous !

Le Collectif des Précaires du Mirail

https://precairesdumirail.noblogs.org

[1]      Le Lay S., Pizzinat B., Frances J. 2017. « “Candidats du MT180®, Soyez fun et sexy”. Un “dispositif spectaculaire” au service de la gamification du champ académique », in E. Savignac et al. (dir.), Le travail de la gamification, Bruxelles, p. 73‑91.

[2]      https://universiteouverte.org/2020/01/14/liste-des-facs-et-labos-en-lutte

[3]      https://universiteouverte.org/2020/02/02/motion-coord-1-2-fevrier